vendredi 20 mai 2022

Fable de Jean de LA FONTAINE LE POUVOIR DES FABLES

Fable de Jean de LA FONTAINE



 LE POUVOIR DES FABLES

A M. De Barillon (a)

               La qualité d'Ambassadeur
Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
               Vous avez bien d'autres affaires
               A démêler que les débats
               Du Lapin et de la Belette :
               Lisez-les, ne les lisez pas ;
               Mais empêchez qu'on ne nous mette
               Toute l'Europe sur les bras.
               Que de mille endroits de la terre
               Il nous vienne des ennemis,
               J'y consens ; mais que l'Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d'être amis,
               J'ai peine à digérer la chose.
N'est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre (1) ? et faut-il qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
               Si votre esprit plein de souplesse,
               Par éloquence, et par adresse,
               Peut adoucir les coeurs, et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons ; c'est beaucoup
               Pour un habitant du Parnasse.
               Cependant faites-moi la grâce
               De prendre en don ce peu d'encens.
               Prenez en gré (2) mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n'en dirai pas plus :
               Sur les éloges que l'envie
               Doit avouer qui (3)vous sont dus,
               Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athène (4) autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut
               A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts (5), tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout ; personne ne s'émut.
               L'animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter.
Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès , commença-t-il, faisait voyage un jour
               Avec l'Anguille et l'Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,
               Comme l'Hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
               Ce qu'elle fit ? un prompt courroux
               L'anima d'abord contre vous.
Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
               Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
               A ce reproche l'assemblée,
               Par l'apologue réveillée,
               Se donne entière à l'Orateur :
               Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
               Si Peau d'âne (6) m'était conté,
               J'y prendrais un plaisir extrême,
Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.

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